Sur un docteur qui était fort méchant personnage
D’un usurier
Ci-gît un homme bien accort
S’il eût enfin trompé la mort
Aussi bien que pendant sa vie,
Sous ombre d’une prud’homie
Il faisait le dévotieux
En priant Dieu la larme aux yeux,
Et faisait paraître à chacun
Que des biens lui était tout un.
Et néanmoins en cette ville
N’y avait homme plus habile
De donner tous les jours argent
A intérêt de cent pour cent ;
Et savait si bien contrefaire
La signature d’un notaire
Que jamais on ne vit décret
Auquel par un subtil secret
Des premiers colloqué ne fut ;
Or, après enfin il mourut
Et laissa force argent comptant
Entre les mains d’un jeune enfant
Lequel aimerait mieux se pendre
Qu’il ne trouve en quoi le dépendre.
Car toujours il dit aussi bien
Qu’après sa mort il n’aura rien ;
Que son père était une bête
De se rompre pour lui la tête ;
Qu’il gardera bien son enfant
D’en dire de lui un jour autant.
Vous autres qui par ci passez
Et qui tant d’écus amassez,
Priez Dieu pour ces vieux fous
Afin qu’on prie aussi pour vous.
Réflexions sur les grands hommes qui sont morts en plaisantant, p.202-03