Stances sur la vie de Monsieur Colbert
Stances sur la vie de Monsieur Colbert
Colbert est mort, sa renommée
Sera d’une longue durée ;
Tous les États ont ressenti
Son humeur cruelle et barbare,
Et son cœur aussi dur qu’avare
Ne s’est d’aucun mal repenti.
Son père pour tout héritage
Lui laissa l’orgueil en partage ;
Le patrimoine est fort léger,
Mais la fortune plus légère
Sans réfléchir sur la matière
De tous biens le voulut gorger.
De clerc d’un honnête notaire
Et de commis de gens d’affaires,
Puis d’intendant d’un Cardinal
Il a su pousser sa carrière
Jusqu’au degré du ministère
Qui fut à la France fatal.
Avec raison la voix commune,
Étonnée de sa fortune,
Lui donna le titre de grand ;
Tant de charges considérables,
Tant de richesses effroyables
En faisaient le nom et le rang.
Il avait les surintendances
Des bâtiments et des finances,
Et du Levant jusqu’au Ponant
Il était de toute manières
Sur la mer et sur les rivières
Maître, trésorier, intendant.
Il l’était des ponts et chaussées,
Des turcies et des levées,
Des tailles, domaines et marc d’or,
Du casuel de toutes charges,
De l’épargne et des décharges
Et de tout le royal Trésor.
Il faut surtout que l’on exalte
Sa bonté sur l’ordre de Malte,
L’honorant d’un fils généreux,
Dont la noblesse un peu précoce
Pour être venue d’Écosse,
A beaucoup illustré ses vœux.
Cet ordre aussi pour récompense
D’un présent de cette importance,
Lui donna les plus beaux emplois,
Le fit général des galères,
Qui d’un combat s’enfuit naguère
Pour mieux sauver sa grande croix.
N’oubliez pas les alliances
Qu’avec les royales finances
Il a mis dans sa maison :
Luynes, Saint-Aignan et Vivonnes,
Matignon et d’autres personnes,
Des ducs et marquis à foison.
D’État il était secrétaire,
Office d’un grand caractère.
Mais non lettré, ni bachelier,
Soutenu de son beau génie,
Il avait borné son envie
A celui seul de chancelier.
En cette ridicule attente,
La mort, plus sage et plus prudente,
A borné ses plus heureux jours,
Et le bon démon de la France
S’est servi de son assistance
Pour en finir l’injuste cours.
Colbert pouvait servir son prince
Sans désoler ville et province,
La noblesse et le tiers État
Dans les impôts ; un homme sage
Les sujets lui-même ménage
Et la gloire du potentat.
Faisant la chambre de justice,
On espérait plus de police
Et tous les abus réformés.
Mais on a vu tout le contraire
Et cent fois plus de gens d’affaires
Et de partisans affamés.
Enfin, pour comble de sa gloire
Et de sa trop chère mémoire,
Il nous a laissé des enfants
Et des neveux comme des frères
Qui tous d’orgueil ne manquent guère,
Mais beaucoup d’esprit et de sens.
Voilà donc son corps dans la terre,
A qui les vers feront la guerre.
Où son âme est, je ne sais pas,
Je ne sais s’il en avait une.
En ce cas, malgré la fortune
Qui le mit haut, elle est bien bas.
Ce qui fait son panégyrique
C’est une allégresse publique,
Même des plus gros animaux.
Les bœufs d’un instinct de vengeance
Depuis sa mort, en diligence,
Sont plaisamment partis de Sceaux1 .
- 1Voir *0369
Nouveau Siècle, t. II, p.219-222 - F.Fr.10475, f°20r-21v - Tableau de la vie de Colbert, p.263-67