Sans titre
Requête du cardinal de Richelieu à saint Pierre
pour lui ouvrir les portes de Paradis
Le cardinal
Bien humblement vous présente requête,
Un qui jadis portait couronne en tête,
De lui ouvrir, Ô grand ami de Dieu.
C’est du Plessis, le duc de Richelieu.
Saint Pierre
Bien humblement entendit la requête
D’un qui jadis portait couronne en tête.
De lui ouvrir, il n’y a point de lieu
Pour du Plessis, le duc de Richelieu.
Le cardinal
Quoi, point de lieu ? serait-il bien possible
Qu’il fut en vous un cœur si peu sensible
De refuser par un décret fatal
D’ouvrir la porte à ce grand cardinal ?
Saint Pierre
Oui, mon ami, sache qu’il est possible
Qu’il soit en moi un cœur si peu sensible
De ne vouloir par un refus fatal
Ouvrir la porte à ce grand cardinal.
Le cardinal
Ce grand Armand, de qui la renommée
S’épand partout, même aux Champs-Elysées,
Ne pourrait point entrer en ce lieu-ci ?
Je ne crois point que cela soit ainsi.
Saint Pierre
Ce grand Armand, de qui la renommée
S’épand partout, même aux Champs-Elysées,
Ne pourrait pas entrer en ce lieu-ci ?
Il le doit croire, car la chose est ainsi.
Le cardinal
Le peut-on croire, quoi, que ce grand personnage
A qui jadis on venait rendre hommage,
De qui le bruit s’est partout répandu,
En ce pays n’est-il donc point connu ?
Saint Pierre
On le doit croire, oui, que ce grand personnage,
A qui jadis on venait rendre hommage,
De qui le bruit s’est partout répandu,
En ce pays n’est point du tout connu.
Le cardinal
N’est point connu ? Ô destin rigoureux,
Par qui son sort s’est rendu malheureux ;
Son nom qui fit trembler toute la terre
Est inconnu encore au bon saint Pierre ?
Saint Pierre
Il est ainsi. Son destin rigoureux
A fait son sort tellement malheureux
Qu’encore son nom qui fait trembler la terre,
N’est point écrit au livre de saint Pierre.
Le cardinal
Mais tout de bon, parlons sérieusement,
Ouvrez, ouvrez, je vous prie, vitement,
Car aussi bien d’une machine forte
Je puis forcer la serrure et la porte.
Saint Pierre
Mais tout de bon, je dis sérieusement,
Retire-toi, je te prie, vitement ;
Je ne crains point que ta machine forte
Puisse forcer ma serrure et ma porte.
Le cardinal
Quoi donc, parler ainsi en ma présence ?
Savez-vous bien que je suis l’Éminence ?
Par la morbleu, si je retourne en vie,
Vous sentirez l’effet de ma furie.
Saint Pierre
Oui-dà, je parle ainsi en ta présence.
Je sais fort bien que tu fus l’Éminence,
Mais à présent que tu n’es plus en vie,
On ne craint point l’effet de ta furie.
Le cardinal
Tu ne crains point ? mais, je te prie de grâce
De me donner un petit bout de place,
Car autrement, si je descends en terre,
Je te voudrais un jour faire la guerre.
Saint Pierre
Point ne te crains, et te supplie de grâce
De t’en aller ; il n’y a point de place
Pour toi ici qui, vermisseau de terre,
Te veux armer pour me faire la guerre.
Le cardinal
Moi, vermisseau ? dépit, colère, rage,
Souffrirez-vous qu’il me soit fait outrage ?
Je vais dresser une puissante armée
Où je serai moi-même en la mêlée.
Saint Pierre
Oui, vermisseau, quoi que tu sois en rage,
Il faut pourtant souffrir un tel outrage.
Va chez Pluton, dresse ici ton armée,
Car pour t’ouvrir ma serrure est mêlée1 .
- 1Voir *037
Tableau de la vie de Richelieu, p.177-82