Dialogue entre deux paysans
Dialogue entre deux paysans
Colin
Palsambleu, compar Lucas,
Boute-moi là tout ton tracas
Et vian nous en au cabaret.
Je te veux dire un biau secret.
Morgué, j’avons des nouvelles
Qui ne sont my bagatelles.
Lucas
Quoy, c’est toy, compar Colin,
Ah, tu t’y prans de bon matin.
Que savois-tu donc de si biau ?
Colin
Haga, vite, pren ton capiau.
Je défilerons le chapelet
Quand je serons au cabaret.
Nan dit que nostre bon sire
Est crevé ; il n’an faut pas rire
Et ce qui fait compassion
Qu’il n’eut point l’absolution.
Lucas
Tu parlé comme un échalot
Et pourquoy donc tout cela ?
Son curé n’y etoit donc point ?
Colin
Il samble que tu as bian du soin.
Bon ; nan dit que le bon Père,
Tout écumant de colère
De le voir presque tripassé
En devint si fort embarrassé
Qu’il dit les mots de travers,
Les boutant trestout à l’anvair.
Lucas
Il ignoroit donc san metier ?
Colin
T’es un pauvre arbalétrier.
Quoy ? ce bon Père Tellier
a-t-il jamais su confesser ?
et n’an dit que le Jan Sinius
l’avoits si tellement confus,
ly baillant tant de tristesse
qu’il ne savoit pas dire la messe.
Lucas
Mais parlons de notre bon sire.
Colin
Ha, maintenant on peut tout dire.
Lucas
Sais-tu de quoy il est mouru ?
Colin
Nan dit qu’il avoit le scourbu.
Lucas
Puisqu’il est mouru de biau jeu,
Morgué, je n’en ons pas de deuil.
Car ma foi il avoit mangé
Jusqu’à nostre asne et ses pagniez.
Eh ! laissons là notre bon Roy ;
Comme nan dit, chacun pour soy.
Colin
Hé, te vela bian essouflé,
J’en suis à peine à la moquié.
Lucas
Dis donc, puisque tu veu dire.
Colin
Acoute, toy, tu vas bian rire.
Nan dit que Monsieu Fagon
L’a fait ouvrir comme un cochon
Devant ces Messieurs médecins
Qui auront sarvi d’assassins ;
Et puis qu’en tirant ses boyaux
Ils en avoient empli des siaux
Pour le donner à Notre Dame.
Lucas
Le Bon Dieu veuye avoir son ame.
Colin
Et ce qui est ancor pu pis,
C’est que le traînant dans Paris
Dame, je say stila, on me l’a dit ;
Trestous croient, il a chié au lit.
Lucas
Il est donc bian peu regretté ?
Colin
Est-ce que t’an a jamais douté ?
Jusqu’à là que le Parlement
A déchiré son testament
Disant que tout etoit gâté
S’il avoit quelqu’autorité.
Mais pour nostre contentement
J’avons, Dieu merci, un regent
Qui voit clair comme un écureil
Et qui depuis n’a fromé l’œil
Pour nous décharger tout de bon
De taille et capitation.
Il de l’esprit en diable ;
Il est doux, il est affable,
Et dans Paris nan dit enfin
Que c’est un autre Miché Morin.
Lucas
Qu’est stila donc qu’est note Regent ?
Colin
C’est Monsieu le Duc d’Orléans.
Ha, nan dit qu’il veut tout faire,
Ly mesme sera son secretaire
Et qu’il ne veut point de ces gens
Dont les gros appointemens
Reduisent tout note village
A n’avoir que du fromage.
Il veut que je soyons traitez
Comme des gens de qualité.
Lucas
Dame, c’est donc moult grand parsonage
Si tout ce que tu dis est vérité,
J’ai grand envie de boire à sa santé.
Colin
Tatidié, n’a-t-y pas fait ouvrir la cage
A tous les pauvres collecteurs
Qu’on tenait tous comme déserteurs ?
Enfin nan dit que je serons
Ny pu, ni moins que des poissons
Dans l’iau, n’ayant d’autre affaire
Que de caresser note minagère.
Lucas
Que fer donc la Maintenon ?
Colin
Nan dit que la vieille guenon
S’est fait boutter à Saint Cyr
Pour pleurer tout le plésir
Qu’alle goutoit avec tant d’apas ;
Pendant que j’étions bian las
De voir hausser notre taillon
Pour ly bailler des cotillons.
Lucas
Et le seigneur Desmarets ?
Colin
Nan dit qu’on fait de biaux aprêts
Et que ce sera pour ly chance
S’il ne marche à la potence,
Le promenant dans tout Paris
En chantant le De profondis.
Nan dit que Monsieu le Regent
A découvert en un moment
Tous ses tours de passe-passe.
Lucas
Allons, vide donc ta tasse.
Colin
Morgué, laisse-moi dégoiser
car j’ay peur de rien oublier.
Lucas
Que fait note bon cardinal ?
Colin
Nan dit que maugré son rival
monsieu le Duc d’Orléans
l’aime comme un de ses enfans
et qu’en fit il ly a promis
qu’il iroit à confesse à ly,
boutant à sa disposition
toute la Constitution.
Lucas
La, compar, quel changement !
Colin
Voici revenir le bon tems
Où j’allons boire à note aise
Et le cu dessus nos chaises
Et je chanterons sans fasson
Levez donc votre cotillon.
Lucas
Diable, il semble qu’il tianne
Le lapin dans la garanne.
Pour moy, je remets mes ébats
Quand je verrons que ce trépas
Changera véritablement
L’état de ce gouvernement,
Et que ce Regent si vanté
Nous fera boire à sa santé1 .
- 1Voir $3533
F.Fr.12796, f°37v-40v