Le Libera de M. Colbert
Le Libera de M. Colbert
Tout Paris a la larme à l’œil
De voir Colbert dans le cercueil.
C’est plutôt de joie que de deuil.
Sur le chemin de Paradis
On entend Colbert qui s’écrie :
Ah, morbleu, je me suis mépris.
Mais le grand diable Lucifer
Avec sa grande fourche de fer
L’a entraîné dans les enfers.
Ah, que je vous suis obligé
De m’avoir ici amené,
Sans vous j’étais bien égaré.
Comment, coquin, depuis le temps
Que tu tourmentes tant de gens,
Tu es le plus grand des tyrans,
Ne devais-tu pas bien savoir
Les tourments du sombre manoir ?
Il faut donc y faire ton devoir.
Mais cependant tous les démons
Sonnèrent le grand carillon
Et se rangèrent en bataillons.
Au devant de lui accourut
Tout l’Enfer qui était ému
De recevoir le bien venu.
Tout aussitôt qu’il fut entré
Les démons se prirent à chanter :
Pendez, pendez et le brûlez.
Il fut reçu fort dignement
Lui donnant pour appartement
Le plus superbe bâtiment.
Le régal qu’il eut était bon,
C’était soufre et poudre à canon
Et lui qui servait de lison. [sic]
Se voyant ainsi maltraité,
Aussitôt se mit à crier :
Ayez pitié d’un maltôtier.
On lui répondit sur-le-champ :
Puisque vous êtes partisan,
Faut allumer un feu plus grand.
Mais le bois venant à manquer,
Le charbon devint bien plus cher
Par tout le royaume d’Enfer.
Le Sieur Colbert tout aussitôt,
Se voyant un peu de repos,
Sur le bois voulut mettre impôt.
Mais Lucifer voyant cela,
Dis : morbleu, que diable est-ce là ?
Chassons d’ici ce coquin-là.
Hélas, lui répondit Colbert,
Ne me chassez point de l’Enfer,
En Paradis ne puis entrer1 .
- 1Voir *0368
Tableau de la vie de Colbert, p.260-62