La Scaronnade
La Scaronnade
Je suis, de par le Dieu Pluton,
Vers toi député, moi, Scarron.
Notre beau basané monarque
Vient d’être instruit par une Parque
De ta venue en ce canton,
Et cette carogne, dit-on,
Fut celle qui fit la filasse
De ta trop durable carcasse.
Enfin les bords de l’Achéron
Te possèdent, maître Bourbon.
Parbleu, tu ne te pressais guère
De vouloir dénicher de terre ;
Tu ne voulais de requiem
Qu’à l’âge de Mathusalem ;
Tu ne voulais quitter ton trône
Non plus que ta vieille matrone ;
Et quoique tu fusses réduit
A n’avoir ni sou ni crédit,
Quoique ton peuple, à la besace,
Te maudît et toute ta race,
Blâmant tes vices, tes excès,
Ta confiance en Desmarets,
Ton Pontchartrain, cette pécore,
Voisin, ton chancelier encore,
Ton Esculape de nabot,
Et Pelletier, ce fier sot ;
En un mot tout ton ministère ;
Ta fureur de faire la guerre,
Ton luxe avec ton peu de foi,
En voulant tout avoir pour toi,
Gênant même ta conscience
Par une fade complaisance
A récompenser un flatteur
Qu’approuvait ton noir directeur ;
Ne gouvernant plus par toi-même,
Laissant l’autorité suprême
Entre les mains d’une guenon,
Je veux dire la Maintenon.
Tu la connais !… oh ! oh ! la garce ?
Ne va pas faire la grimace.
Dans ce climat d’obscurité
On dit toujours la vérité ;
Et dans ce ténébreux empire
Un Scarron est autant qu’un Sire.
Vraiment nous avons un bon roi ;
Trois juges font ici la loi,
Eaque, Minos, Rhadamante ;
Ils ont une charge éminente,
Et jugent en dernier ressort
Tous ceux que leur envoie la mort.
Lorsque tu régnais à baguette,
Et qu’en te faisant la courbette,
Je présentais des vers vernis
Ou quelques autres pots-pourris,
J’encensais ta sotte figure ;
Et ma femme, ta créature,
T’a par ma foi souvent donné
De mon encensoir par le nez ;
Elle a si bien fait la vilaine,
Qu’elle était prête d’être reine ;
Sans ton Conti, sans ton Dauphin,
Elle le devenait enfin.
J’en ai ri avec la Dauphine
Dans la maison de Proserpine,
Où j’ai trouvé le grand Colbert.
A propos de cet homme vert,
On dit que ce royaume sombre
Porte du respect à son ombre,
Et qu’il travaille avec Plutus
A nos infernaux revenus.
Un jour que j’étais à sa suite,
Me promenant près du Cocyte,
Il me dit d’un ton goguenard,
Esprit Scarron, défunt cornard,
Il me revient qu’en notre France
Tout va tomber en décadence ;
Que mon neveu, le contrôleur,
Devient de plus en plus voleur ;
Qu’avec un nombre de canailles
Il impose tailles sur tailles,
Mille abominables détours
Qu’il sait inventer tous les jours ;
Qu’il peut espérer la potence
Si jamais vient une vengeance,
Car je sais de très bonne part
Que dans un complot, lui douzième,
A réussi pour le Dixième,
Lequel a mis sur le grabat
Tous les sujets du pauvre État.
Depuis que, sans miséricorde,
Avec gens de sac et de corde
Que le public nomme intendants ;
Des maltôtiers et des traitants,
Il a su mettre dans sa bourse
L’argent du public sans ressource,
Et réduit aux derniers abois
Tout le pauvre peuple français.
Je t’en dirais bien davantage,
Mais mon devoir ailleurs m’engage.
J’en sais bien plus présentement
Que n’en marque mon testament,
De plus un tel discours t’ennuie,
Et ta face en paraît rougie.
Mais ne parlons plus de Colbert,
Et parcourons un peu l’enfer.
Vois-tu là, dans l’ardente braise,
Ton pauvre directeur La Chaise,
Pour t’avoir remis tant de fois
Le crime favori des rois.
Peut être serait-il un ange
Sans la guimpe de Fontange,
Sans ta marquise de Biran,
Sans ta futile Montespan,
Et sans ta prude La Vallière,
Il n’aurait pas chaud le bon père.
Enfin son sort est arrêté :
Il ne boira jamais de thé.
Connais-tu bien ce fantôme
Qui fut jadis ton économe,
Ton grippe-sou, ton fin matois ?
C’est ton brûle-maison Louvois ;
Il est entre les Euménides,
Exécutrices fort rigides
De la vengeance des humains.
De son bras de fer, de ses mains
Chacune tour à tour l’étrille ;
L’une le bat, l’autre l’houspille,
Tant mieux ! il l’a bien mérité
Pour t’avoir sans cesse excité
A toujours soutenir la guerre,
Et à troubler toute la terre,
A traiter comme des goujats
Tous les nobles de tes États.
Et bien, feu Louis, que t’en semble ?
Viens et suis moi au petit train,
Je vais te montrer Mazarin ;
Connais-toi dans cette Éminence.
Il est avec son Excellence
Monseigneur le consul Minos,
Qui parle de toi, mon héros.
Ce juge sévère et habile
Est des plus sujets à la bile,
Et les nièces du cardinal
Font ici souvent bacchanal.
Ils ont su tous deux ta venue,
C’est la cause de l’entrevue
Du Toscan et du sénateur ;
Ils sont tous deux bien en chaleur.
Je sais, par longue expérience,
Que le premier prend ta défense,
Et ce subtil Italien
Te prône pour homme de bien.
Il dit qu’étant sous sa conduite,
Il a, bien mieux qu’aucun jésuite,
Réglé tes inclinations
Par ses sages instructions.
S’il a commis quelque bassesse,
Dit-il, ce n’est que par faiblesse
Et par les conseils séducteurs
De tous ses ministres flatteurs.
Je sais qu’il aimait la justice
Et surtout la bonne police,
Et que pour le bien des mortels
Il a défendu les duels.
Par une sainte fantaisie
Il a purgé de l’hérésie
Ses États, plus il établit
De quoi payer maint bel esprit,
Item maintes académies
De tous arts amplement fournies ;
Encor fit-il des bâtiments
Pour tous les guerriers indigents :
C’est là que le pauvre invalide
Le reste de ses jours réside.
De plus, par un chaste désir,
Le monastère de Saint Cyr,
Pour empêcher maint demoiselle
De s’instruire à la bagatelle ;
Et si dans sa belle saison
Avait d’époux démangeaison,
Alors la dame fondatrice
Cherchait à pourvoir sa novice ;
Et mon Louis, toujours dévot
(Après en avoir pris son lot),
Pour l’acquit de sa conscience,
Lui donnait homme de finance.
Voilà mot pour mot ses caquets,
Pour soutenir tes intérêts.
Nous verrons bientôt si ton juge
Approuvera tout ce grabuge.
En attendant ton jugement,
Prépare bien ton argument ;
Il te faut soutenir ta thèse
Sans conte bleu et sans fadaise ;
Céans on ne fait pas sa cour
Par l’éloquence et par détour.
Quoique ce pays soit des songes,
On n’y souffre pas de mensonges
On dit tout franc, par ci, par là,
J’ai fait ceci, j’ai fait cela,
Je m’en repens au fond de l’âme.
Mais gare une éternelle flamme
Et le sort fatal d’Ixion,
Malgré ton absolution1 .
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Raunié, I, 32-42