Les derniers moments de Louis XIV
Les derniers moments de Louis XIV
Or apprenez, peuple français,
La mort du plus grand de nos rois,
Oh reguingué ! oh lon lan là !
Je vais conter la manière
Dont il a fini sa carrière.
D’un mal très dangereux atteint
Il appela son médecin ;
Mais las ! pour ce pauvre monarque
Mieux eût valu mander la Parque.
Cet Ésope malencontreux,
Cet Esculape monstrueux,
Pour conserver si chère tête,
Fit assembler mainte autre bête.
De leur homicide sabbat
Patience est le résultat
Cependant du malheureux sire
Le mal à chaque instant empire.
Sentant donc son mal aggraver,
Sa conscience il veut laver ;
Et pour la nettoyer bien vite
L’humble Le Tellier le visite.
Sire, dit il, premièrement
Ne devez-vous rien ? — Non vraiment.
Desmarets, qui bien me seconde,
Dit qu’il a payé tout le monde.
Des amours de la Montespan
Mon cœur, mais en vain, se repent ;
Toujours, malgré sa repentance,
Je sens remords de conscience.
Rassurez vous, dit le Docteur,
Cela n’est rien sur mon honneur ;
Ne l’avez vous pas bien payée ? —
Oui. — La faute est donc pardonnée.
Mais, dit le roi, pour Maintenon,
Dois-je l’épouser tout de bon ? —
Non certes, répondit le Père,
Jamais vous ne la fîtes mère. —
Donnez-moi l’absolution ? —
Ah ! de la Constitution,
Dit le faux saint, rendez-moi maître,
Et ce prélat envoyez paître ;
Sans cela point de paradis.
Et, de par Dieu, je vous le dis,
Sire, pour une bagatelle,
Ne perdez la gloire éternelle. —
Hé bien, reprit le grand Bourbon,
Soit, mon père, j’y consens donc.
Taillez, rognez ; à votre zèle
Je remets la sainte querelle.
Aux bénéfices même encor
Vous nommerez après ma mort ;
Donnez les à votre ordinaire
A gens d’une vie exemplaire.
Lors harangua d’un soin égal
Tous les princes du sang royal,
Même le Dauphin en personne,
Et Maintenon la toute bonne.
Je meurs, dit il, car tout prend fin.
Vous prince, parlant au Dauphin,
Vivez, imitez votre père,
Régnez en paix, jamais en guerre.
Vous, monsieur le duc d’Orléans,
Pour mon fils régentez céans ;
Desmarets je vous recommande,
Homme de probité très grande.
Et vous, cher objet de mes vœux,
Je vous fais mes derniers adieux ;
Louis vous regrette, mignonne,
Bien plus qu’il ne fait sa couronne.
Vous tous, princes, petits et grands,
Soyez unis en tous les temps.
Vous êtes tous parents, je pense ;
Vivez en bonne intelligence. —
A temps se tut le potentat,
Ayant si bien réglé l’État
Qu’on dirait, vu son indigence,
Qu’en ce jour il a pris naissance.
Deux ou trois jours après cela
Un empirique le traita ;
Mais que l’heure ou non soit venue,
Comme bourreau, médecin tue.
Enfin hier il rendit l’esprit,
Oui, sans critique il se rendit
Laissant en deuil toute la France
Tout ainsi dans l’abondance.
Or voilà notre bon roi mort !
Priez donc pour lui Dieu bien fort,
Qu’il lui fasse miséricorde,
Et place à son âme il accorde.
Mais priez-le aussi, d’un grand cœur ;
Qu’au médecin, au confesseur
Il donne pour leur récompense
Dedans l’enfer pleine indulgence.
Toujours cependant sous son nom
L’on publie édits sans façon,
Oh reguingué ! oh lon lan la !
Mais s’il n’en avait rendu d’autres,
Il serait au rang des apôtres1 .
- 1Voir $0003
F.Fr.9351, f°276r-278r