Abrégé de l’histoire de Louis XIV
Abrégé de l’histoire de Louis XIV
Air des Pendus
Or, écoutez, mes chers amis,
Le très véritable récit,
L’histoire de notre monarque,
Et vous jugerez si la Parque
A bien ou mal fait de trancher
La trame d’un prince si cher.
Son père, le roi des Français,
Tous les jours faisait des souhaits
Pour que la reine fût enceinte,
Il priait les saints et les saintes ;
Le cardinal priait aussi :
Il a beaucoup mieux réussi.
Au bout de neuf mois, vint au jour
Un petit enfant de l’amour,
Avec des dents longues et belles ;
Lors on consulta son étoile,
Et dès ce temps-là on prédit
Qu’il mangerait grands et petits.
D’abord sur les mamans tétons
Se creva le maître glouton ;
Et leur montrant ses dents cruelles,
Il leur déchira les mamelles ;
Chacune d’elles le quitta,
Puis une louve l’allaita.
Quand il commença de régner
Il aurait dû se faire aimer
Pour démentir la prophétie ;
Elle n’est que trop accomplie,
Car il n’a cessé de ronger
Et nous a fait tous enrager.
Nous lui prétâmes notre argent,
En beaux louis, en écus blancs,
Croyant qu’il serait honnête homme ;
Mais nous savons à présent comme
C’est être fou de se fier
A gens que l’on ne peut coffrer.
Il nous vendit de ces billets
Qu’il disait être bons effets ;
Ils avaient cours dans le commerce,
On en payait tous ses dettes ;
Mais à présent ce beau papier
Ne peut servir qu’à s’essuyer.
Les uns le nomment Louis le Grand
Et d’autres Louis le tyran,
Le banqueroutier et l’auguste,
Et c’est raisonner assez juste :
Car n’eut d’autres raisons jamais,
Qu’il faut, Nous voulons, Il nous plaît.
Ce prince n’avait pas pourtant
Le cœur dur comme un diamant ;
Car il aimait la demoiselle
Lorsqu’il avait jeune cervelle ;
Puis étant devenu barbon
Il prit la veuve de Scarron.
Son confesseur qui le savait
Pour pénitence lui donnait
D’exterminer le janséniste
Dont en poche il avait la liste,
Et chaque péché pardonnait
Pour une lettre de cachet.
En deux mots, voici le portrait
De ce directeur si parfait,
Cet homme qui passe sa vie
De Jésus en la compagnie ;
Mais je crois qu’il le trahit,
Car il a l’air de l’Antéchrist.
O la plaisante invention
Que cette Constitution !
Elle était pleine d’indulgence,
Elle exemptait de pénitence ;
Louis y avait tant de foi
Qu’à tout moment il la baisoit.
Ce prince ayant régné longtemps
Malgré nous et malgré nos dents,
Fut attaqué de maladie
Qui menaçait beaucoup sa vie ;
Il regarda venir la mort
Tout comme fait un esprit fort.
Il composa dedans son lit
Le dernier tome des édits ;
Il régla toute la finance
De ce pauvre peuple de France ;
Tous les billets il décria
Et c’est ainsi q’il s’acquitta.
On fit venir des médecins,
Mais soit qu’ils n’y connussent rien,
Ou que par esprit de prudence
Voulussent en délivrer la France,
Ils l’ont mis dans le monument
A notre grand contentement.
Aussitôt son trépassement,
On l’ouvrit d’un grand ferrement,
On ne lui trouva point d’entrailles,
Son cœur était pierre de tailles ;
Son esprit était très gâté
Et tout le reste gangrené.
Avec la Constitution
Son cœur, enfermé dans un plomb,
Fut envoyé chez les jésuites
Par de beaux traits de politiques,
De droit il leur appartenait
Puisque persone n’en voulait.
Sitôt qu’il fut enseveli,
On le porta dans Saint-Denis
Sans pompe et sans magnificence
Afin d’épargner la dépense,
Car à son fils il n’a laissé
Que de quoi le faire enterrer.
Or prions le doux Jésus-Christ
Qu’il envoie au-devant de lui
Ses anges rangés en bataille ;
Car on assure que le diable,
Le regardant comme son bien,
Doit l’enlever en chemin1 .
- 1Voir $5175
Sautreau, III,474-477